Un projet qui fait écho aux enjeux contemporains
Au travers des paysages parcourus, de sa narration et de sa temporalité longue, cette expérience entremêle des enjeux sociaux et environnementaux de notre époque. Tout d’abord le choix d’une mobilité douce, remettant le corps au centre du déplacement, est une manière de prendre le temps et d’éprouver la distance. A l’inverse des transports de plus en plus rapides et optimisés, la Caravane se veut connectée à son environnement et se projette dans une certaine attention au vivant. Le trajet peut alors devenir une façon de pister, à la manière de Baptiste Morizot, auquel nous pourrions emprunter cette phrase : “On ne change de métaphysique qu’en changeant de pratiques”*. Nos pratiques se transformeront au fil du voyage par le simple fait de les déplacer.
Reprendre Don Quichotte n’est pas anodin, ce personnage traverse les époques au fil des réécritures. Dans le film Drone Quichotte, il s’agit de recouper des problématiques contemporaines tant au travers de l’identité des personnages que dans leur tentative de proposer des manières de vivre et d’être au monde alternatives. Le drone comme objet-personnage nous amène à questionner le rapport aux machines, dans une anthropomorphie inversée qui lui donne un regard et une volonté propre – faisant écho aux inquiétudes qui agitent le développement des technologies de surveillance mais aussi incarnant un nouveau Golem. Ce regard joue un double rôle, à la fois représentatif d’une réalité subjective et en même temps appelant le point de vue du spectateur à se fondre dans un vécu à la première personne.
Comme chez Cervantès, les autres personnages permettent de dresser un portrait de société et d’explorer les éléments qui constituent leur identité : de classe, de genre, de communauté, …
Par son élan d’aventure, Drone Quichotte est également un projet où la convivialité et la relation sont centrales. L’idée de cette petite communauté est de se nourrir mutuellement, de construire ensemble des espaces d’empuissancement à des endroits de partage de connaissances et de savoirs qui sont bien souvent des lieux où l’on retrouve des dynamiques de pouvoir et de domination. De par le voyage et l’installation du campement à différents endroits, la Caravane habitera l’ensemble du parcours, comme on s’installe simplement, au-delà des questions de frontières, d’appartenance ou de territoire. Il s’agit de faire chemin soi·x·même, sur ou en dehors des sentiers battus en s’émancipant des injonctions habituelles à l’efficacité et la productivité. La Caravane sera habitée par l’esprit de Quichotte qui cherche toujours à combattre l’injustice à coups de fictions mal ficelées et d’images fantasmées. Quoi de mieux pour s’aventurer vers d’autres futurs?
*B. Morizot, Sur la trace animale, éd. Actes Sud, 2018.